Le harcèlement n’est
malheureusement pas une nouveauté. De tout temps et en tout lieu les groupes
ont mené à la formation de boucs émissaires de toutes sortes. Là où le
phénomène est inquiétant et révoltant, c’est qu’il touche des personnes de plus
en plus jeunes et dans des lieux où la République est censée assurer leur
sécurité mais aussi leur bien-être. Quand on dépose son enfant le matin dans un
établissement scolaire, on le fait normalement en toute confiance.
Je lis beaucoup de critiques sur
les collèges notamment, où les CPE et les professeurs n’agiraient absolument
pas, voire laisseraient des faits odieux se dérouler sous leur nez sans
intervenir car non intéressés ou non concernés par ce type d’événements. Je
souhaiterais donc d’abord réagir en disant, comme d’autres l’ont fait avant
moi, que les personnes décrites dans ces propos ne ressemblent absolument pas à
celles que je côtoie quotidiennement, et à celle que je suis, par ailleurs. Toutefois,
mes propos ne sont pas là pour discréditer les témoignages abondant dans ce
sens. On sait bien que, malheureusement, tous les professionnels ne s’impliquent
pas de la même manière (et là, c'est à voir au cas par cas). Mais, je voulais relever le fait que, malgré l’existence
déplorable de ces faits, la grande majorité des professionnels de l’Education
Nationale se démène pour le bien-être des élèves et pour leur assurer le
meilleur avenir possible. Néanmoins, malgré tous nos efforts, beaucoup de choses
nous échappent. Le harcèlement en fait souvent partie… En effet, bien que
sensibilisés (et non formés pour la plupart) à l’existence de ces situations qui
peuvent être d’une violence inouïe, nous avons encore beaucoup de mal à les déceler.
Je dirais même que depuis la surabondance d’informations diffusées sur le sujet
(bien qu’évidemment essentielles) et le regain de vitalité de l’Education
Nationale dans sa prise en charge de ce type d’agression, les harceleurs se
font plus méfiants, et donc plus discrets, mais restent tout autant nombreux et
plus dangereux. On me punit parce que je tape tous les jours un camarade
(seulement gentiment, bien sûr, de simples petits coups amicaux derrière la tête,
quelques fois par jour, pas grand chose monsieur) : pas de problème, la
prochaine fois je ne toucherai plus ma victime n’importe quand, seulement dans
des lieux plus cachés comme les toilettes, ou en la croisant dans les couloirs,
comme cela, vite fait, de manière furtive… On récupère des preuves écrites de
mes méfaits ? Qu’à cela ne tienne : je vais donc maintenant me limiter aux
phrases orales discrètement glissées dans l’oreille de ma proie. Pas de preuve ?
Donc, je n’ai potentiellement rien fait. De quoi m’accuse-t-on ? On me
réprimande à l’école pour mes actes ? OK ! La prochaine fois, je m’arrêterai
aux grilles de l’établissement et recommencerai à la sortie (rues, stade,
réseaux sociaux…). En clair, toutes nos actions ne font souvent que décaler le
harcèlement vers une nouvelle forme, un nouveau lieu ou un nouveau moment. Une
victoire à l’école n’est pas forcément le signe d’une victoire réelle et
définitive. Le harcèlement sur Internet où sévissent de nombreux « haters »
en est la preuve flagrante. Par ailleurs, depuis les informations à tout-va sur
le sujet, de nombreux élèves accusent maintenant à tort certains de leurs
camarades d’exercer sur eux du harcèlement alors qu’il n’en est rien. Ce ne
sont en général pas de fausses accusations, certes, mais une utilisation erronée
et intempestive du terme « harcèlement ». En effet, tout acte
répréhensible, devant bien sûr être sanctionné, ne relève pas forcément du
harcèlement, bien heureusement. Tout ceci participe à détourner notre attention
du harcèlement réel, bel et bien présent et de plus en plus insidieux, capable
de renaître perpétuellement de ses cendres et qui apprend fort bien de ses
erreurs.
Mais, me direz-vous : « Et
les témoins dans tout cela ? » Eh bien…il faut d’abord qu’il y en ait !
Et, quand ils existent, il faut qu’ils se rendent compte de l’importance des
faits (la simple chute d’un camarade semble tellement drôle pour certains), qu’ils
aient assez de caractère pour se défaire de l’effet de groupe et qu’ils ne
craignent pas à leur tour de devenir la future victime. Venir en aide aux
autres, c’est beau et facile sur le papier mais il ne faut pas se leurrer, cela
reste délicat dans les faits.
Alors, que peut-on faire ? Je
veux bien tenter d’énoncer ici quelques pistes mais si je détenais LA solution,
je l’aurais déjà partagée depuis très longtemps. En vrac, voici donc quelques
idées (qui ne sont pas de mon invention), pistes, bases de réflexion à une
discussion plus poussée :
-
mieux former (ou former tout simplement) les personnels
de l’Education Nationale et ce, dès l’école élémentaire, au repérage de
situations de harcèlement, à la prise en charge des victimes, de leur(s)
bourreau(s) et de leurs parents car, souvent, on nous demande d’en parler aux
élèves sans avoir été formé, ne serait-ce même qu’un peu ;
-
sensibiliser chaque année les élèves au harcèlement
scolaire et les informer régulièrement sur les aides et les solutions
existantes, les impliquer dans des actions de plus ou moins grande envergure et
motivantes (concours, création de vidéos…). Voici un exemple de vidéo que j’aime
particulièrement, il s’agit du Prix 2017 « Non au harcèlement »
catégorie meilleure vidéo 6è 5è :
-
s’intéresser de plus près aux bourreaux, à leurs
justifications, leurs modes opératoires, essayer de les comprendre (attention,
comprendre ne signifie pas accepter sans réparation puis oublier) car sans
bourreau il n’y a plus de victime, mais tant qu’il en reste un… D’ailleurs, la
plupart des harceleurs ne se considèrent pas comme tels. En effet, pour beaucoup
c’est juste de l’amusement, de la plaisanterie. Pour d’autres, c’est une
vengeance méritée. Parfois même, certains harceleurs sont d’anciens harcelés
(ou le sont encore) et y voient un juste retour des choses ou n’ont pas le
choix. Enfin, quelques élèves utilisent le harcèlement comme exutoire afin de
mieux supporter des situations personnelles compliquées. C’est dans ces cas-là
qu’on entend le fameux : « Oui, mais vous ne savez pas ce que moi je
vis ! » ;
-
libérer la parole des témoins en valorisant l’aide
apportée aux victimes ;
-
faire participer les élèves à des conseils de classe et
de délégués afin qu’ils s’impliquent dans la vie de leur établissement et qu’ils
prennent part à l’élaboration de certaines sanctions ;
-
valoriser l’entraide en classe (tuteurs…) plutôt que la
compétition qui peut devenir malsaine ;
-
former les élèves à la communication non violente
(messages clairs), mettre en place des médiateurs de cour ;
-
développer des activités de groupes (évidemment
surveillées) et en changer la composition afin de permettre à tous de mieux se
connaître ;
-
faire intervenir des élèves, quand cela est possible,
pour discuter du harcèlement car lorsqu’un adulte parle c’est souvent ressenti
comme un discours trop moralisateur et donc inintéressant au regard des jeunes ;
-
multiplier les actions solidaires et impliquer les
élèves tout au long de leur scolarité afin de montrer que la fraternité est
essentielle et agréable (présentation du don du sang, banque alimentaire,
course ELA…) ;
-
valoriser tout acte solidaire et altruiste, aussi bien
dans les établissements scolaires que dans la société en général (communes,
médias, associations…). En effet, nous vivons dans un monde qui, bien qu’on s’en
défende, valorise à l’extrême les plus puissants, les plus beaux, les plus
forts, ceux qui crient plus fort que les autres, le dernier qui a parlé, les
exploits individuels… Ceux que nous connaissons moins sont trop souvent présentés
comme des profiteurs, des fainéants voire des dangers, des personnes dont on
doit toujours se méfier car forcément mauvaises (les banquiers nous volent
notre argent, les dentistes font exploser leurs tarifs pour mener une vie de rêve,
les profs glandent tout le temps pendant leurs vacances aux frais du
contribuable, les migrants veulent tous profiter de notre système…). Les
généreux, les altruistes sont souvent vus comme des personnes peut-être
intéressantes mais faibles, ayant peu de poids dans la société. Des exceptions
qui sont pourtant des milliers… Que vaut le don de soi de nos jours face à cinq
minutes de célébrité dans une lucarne de plus en plus grande dans nos salons ?
-
associer les parents d’élèves à toutes les actions. En
effet, on ne peut pas éliminer la violence à l’école et sensibiliser les
enfants à la solidarité si le discours à la maison est différent. Par exemple, un
enfant continuera de répondre à la violence par la violence si ses parents lui
demandent de rendre coup par coup. Il est également contre productif d’apprendre
aux enfants à trier les déchets si on leur dit que cela ne sert à rien à la
maison. Ce point est primordial. En effet, sans cohésion, peu de chance de
réussite ;
-
…
Beaucoup de
ces propositions sont déjà en œuvre au sein des établissements scolaires mais
leurs effets ne sont pas immédiats. C’est le cas dans mon école. On a même
parfois un peu l’impression d’aller à contre-sens et de nourrir d’idées les
potentiels harceleurs. Néanmoins, je veux rester positive et me dis que les
citoyens de demain, que nous sommes en train de former, finiront, au bout du
compte, par changer la donne. C’est l’espoir qui me guide et me fait avancer.
Merci de l’attention
que vous avez portée à mon message et bonne soirée !